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Durant les années tragiques de la grande guerre, cent vingt-neuf enfants de la commune de Monville sont morts en faisant leur devoir. C’est à la mémoire de ces héros que la laborieuse population a consacré le 21 août 1921 une journée de recueillement et de prières. Journée de deuil, et le ciel de Normandie que les nuages tendaient de longs voiles gris, s’étaient mis à l’unisson des cœurs.
Dès le matin, une foule nombreuse grossie par le cortège des autorités et des sociétés qui s’étaient réunies à la mairie, gravit le petit chemin qui mène au cimetière. Là, dans la vieille nécropole qui domine la campagne, et d’où l’œil embrasse un horizon magnifique que limitent, en face, les coteaux boisés d’Eslettes, une émouvante cérémonie se déroula.
Un service religieux fut célébré à l’autel de pierre qui occupe le point culminant du cimetière. Cet autel fut béni solennellement le dernier dimanche des Rameaux par M. le chanoine Colin, sénateur de Metz. En l’absence de M. l’abbé Morin, curé de Montville malencontreusement frappé par la maladie, ce fut M. l’abbé Carton, vicaire de la paroisse, qui a dit la messe.
L’absoute fut donnée par M. l’abbé Lesergeant, archiprêtre de la cathédrale, qui, en une allocation admirable, exalta les sentiments de fierté.
Les jeunes filles de la schola Sainte-Cécile interprétèrent un beau programme de musique sacrée, et ce fut comme une berceuse infiniment douce quand leurs voix harmonieuses s’élevèrent parmi les tombes dans le vieux cimetière où une vingtaine de combattants dont les dépouilles ont pu être transférées, dorment leur dernier sommeil tout près de ceux qu’ils ont aimés.
L’après-midi ce fut l’inauguration officielle du monument érigé place de la Mairie. Cette solennité était présidée par M. Valentin, conseiller de préfecture, représentant M. le Préfet de la Seine-Inférieure.
Un peu après deux heures, les notabilités arrivaient et étaient reçues rue de la République par la municipalité, et aussi par le « Souvenir français » qui contribua à l’érection du monument. Puis à la mairie, M. Guittet, maire de Monville, fit à M. Valentin et à M. le commandant Cottard, délégué par le général Lebrun commandant le 3è corps d’armée, la présentation des autorités et des invités.
Toute la population de Monville et de la région s’était portée vers le lieu de la cérémonie et se pressait en masses profondes autour de l’enceinte réservée où avaient pris place les familles des morts, les délégations et les sociétés. Il y avait là la section des anciens combattants de Monville, la fanfare « l’Union », les gymnastes de la « Fraternelle », les pompiers de Monville , les enfants des écoles et leurs maîtres. Il y avait aussi, avec leurs drapeaux, les délégations des combattants de Clères, de Malaunay, d’Anceaumeville, d’Eslettes, de Mont-Cauvaire.
Aux accents de la Marseillaise, le cortège officiel vint prendre place sur l’estrade tendue de rouge, qui avait été dressée près du monument.
A trois heures, la sonnerie du « Garde à vous » retentit. Le monument fut dégagé de son voile. Il apparut dans sa simple et fière beauté.
Puis ce sont les fillettes des écoles qui, dirigées par Mme Pincepré, viennent exécuter autour du monument une de ces « danses harmoniques » qui sont fort à la mode. Les fillettes ont à la main des bouquets tricolores et elles chantent en sautillant les louanges des héros.
L’appel des morts est fait par M. Emile Caron, grand mutilé de la guerre. On soutient ce malheureux tandis qu’appuyé sur deux béquilles, il donne lecture des cent vingt-neuf noms. La fanfare joue l’hymne aux morts.
L’assistance émue vint alors déposer au pied du monument des fleurs, des palmes et des couronnes. L’inauguration était terminée.
Et dans le petit bourg, la foule s’écoula lente et recueillie, jetant un dernier regard sur le soldat équipé et casqué qui dresse son altière silhouette sur le bord de la grand’ route pour montrer aux passants comment les cent vingt-neuf gars de Monville on su mourir pour la France !
"l’œil embrasse un horizon magnifique que limitent, en face, les coteaux boisés d’Eslettes"