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Gazettes

n° 13 - Le scandale des exhumations militaires

Grande Guerre :

le scandale des exhumations militaires

 

par Fergus. 
 

Comme on le pressentait, l’excellent Pierre Lemaître a obtenu en 2013 le très convoité Prix Goncourt avec « Au revoir là-haut ». Au cœur de ce magnifique roman, deux scandales. Mais si l’un, une escroquerie aux monuments aux morts, est fictif, l’autre a bel et bien été inspiré par des faits véridiques survenus en 1920 et 1921. En cause : des milliers d’exhumations illégales de soldats morts au combat...

 

Les premiers chapitres du roman de Pierre Lemaitre sont à la fois hallucinants et baroques. Ils plongent brusquement le lecteur dans le sang et la boue des lieux de combat de la Grande Guerre à quelques jours de l’Armistice de 1918. C’est là, dans ce cloaque infernal, que va se nouer, de manière dramatique autour d’un trou d’obus et du destin d’une « gueule cassée », la trame d’une histoire d’hommes parfois révoltante mais ô combien émouvante et très souvent truculente. Une histoire dont l’un des aspects repose sur des faits assez largement méconnus dont Pierre Lemaître, marqué dans sa jeunesse par la lecture du très beau roman de Roland Dorgelès « Les croix de bois », s’est inspiré en prenant connaissance de la thèse de l’historienne Béatrix Pau-Heyries intitulée « La violation des sépultures militaires », thèse publiée en 2010 dans le n° 259 de la Revue historique des Armées. Grâce à Pierre Lemaître et à ce Prix Goncourt qui les a remis en lumière, zoom sur ces évènements oubliés...

2 juillet 1915. L’Assemblée nationale vote une loi qui institue la mention « mort pour la France ». Une avancée qui n’a rien d’anecdotique car elle confère aux soldats décédés une reconnaissance et un statut individuel dont ils ne disposaient pas jusque-là. Les « poilus » morts au combat étaient en effet considérés non comme des individus mais comme les parties d’une communauté de camarades combattants. Et si l’on inhumait dans les premiers temps de la guerre les soldats morts dans des cimetières collectifs sous la surveillance d’un officier sanitaire afin de veiller à l’identification des corps, le nombre croissant des victimes oblige progressivement les troupes à agir de manière empirique hors de tout cadre réglementaire. Ce sont les camarades des morts qui, avec un profond respect, inhument les corps à proximité du lieu où ils sont tombés, parfois dans un cimetière de fortune pouvant regrouper jusqu’à une centaine de cadavres de poilus « morts pour la France ». La tombe de ces hommes, ensevelis dans des planches de coffrage récupérées ou de simples toiles de tente, n’est le plus souvent signalée que par une levée de terre surmontée d’une sommaire croix de bois sur laquelle on a parfois accroché le képi du mort comme l’a rapporté l’écrivain Maurice Genevoix dans « Ceux de 14 ». La plupart du temps, le nom du défunt, son unité, son grade et la date de sa mort ont été gravés au couteau ou à la baïonnette sur le bois de la croix, mais cette identification est loin d’être systématique, et beaucoup de tombes, creusées à la hâte, ne comportent aucune inscription.

 

Les mercantis de la mort

Le 29 décembre 1915, l’État français accorde par la loi le droit à tous les soldats morts au combat de reposer dans une concession individuelle au sein d’un cimetière militaire situé en arrière du Front, mais à l’intérieur de la zone des Armées. Tous les poilus morts ne bénéficient pourtant pas de cette avancée et des milliers d’inhumations empiriques sur les lieux de combat continuent d’être pratiquées, imposées par le déroulement et l’âpreté de la guerre dans des terres ravagées par les bombardements. Dans le même temps, les familles se montrent de plus en plus frustrées : faute de corps, elles doivent se contenter, à l’annonce du décès d’un proche, d’une simple messe à la mémoire du mort. Une réalité choquante aux yeux de beaucoup de parents et de veuves qui, dès lors, entreprennent de rapatrier les dépouilles pour les inhumer dans la commune des défunts. Mais ce qui est possible pour les blessés décédés dans un hôpital de l’arrière ne l’est pas pour les soldats enterrés dans les cimetières militaires proches du Front.

Sitôt la fin des combats, de nombreuses familles, douloureusement frappées par la mort d’un proche, entreprennent de faire exhumer, en toute illégalité, les corps de leurs défunts pour les rapatrier. Flairant la bonne affaire, des entrepreneurs peu regardants sur le caractère illicite de ces exhumations et de ces transferts leur viennent en aide moyennant finances, souvent sur la base de tarifs établis à la tête du client : relativement modérés pour les gens modestes, très élevés pour les familles fortunées. Ces exhumations bénéficient également d’aides locales de la part de populations locales compassionnelles qui prêtent parfois la main mais surtout refusent de collaborer aux enquêtes diligentées par les gendarmes lorsque les violations de sépultures sont constatées par les autorités. Les menuisiers et ferblantiers locaux eux-mêmes s’impliquent dans ces transferts en fournissant des cercueils pour le transport clandestin des corps. Tout cela facilite l’activité très lucrative des entrepreneurs, pour la plupart des opportunistes du malheur que l’on a appelés dans la presse de l’époque les « mercantis de la mort ». Mais peu de gens ont vraiment conscience de l’obscénité de ce commerce, au point que les infirmes de guerre à qui l’on a confié le contrôle des véhicules aux octrois leur facilitent eux aussi la tâche : ayant connu l’enfer des tranchées, ils n’ont le cœur ni à taxer ces « marchandises » macabres ni à empêcher leur transport comme les y oblige pourtant les textes en vigueur.

Pour lutter contre ces pratiques, une Instruction générale, datée du 19 juin 1919, interdit de manière drastique tous les transferts de corps non validés par les représentants officiels de l’État. Cette décision est évidemment mal accueillie par ceux qui ont perdu un proche. C’est pourquoi, afin de contrebalancer cette mesure négative, est édictée une disposition positive destinée à calmer la frustration d’une partie des familles : sous l’impulsion du Président du Conseil Georges Clémenceau et de son futur ministre des Pensions André Maginot, les dépenses liées au voyage des parents sur les lieux d’inhumation et aux frais des rapatriements autorisés sont très largement allégées au cours du 2e semestre de 1919, notamment pour les milieux populaires. Le 31 juillet 1920, il sera même acté dans la Loi de finances que la totalité des frais de transfert autorisés des corps de soldats morts serait désormais à la charge de l’État. 

 

Des cadavres incomplets ou mélangés

Les exhumations illicites des corps non concernés par les autorisations ne s’en poursuivent pas moins en 1920 et 1921, le plus souvent exécutées par des personnes non formées à ce type de tâche. À l’absence de compétences se mêlent également des pratiques peu scrupuleuses, et même carrément scandaleuses : les familles veulent un corps, on leur en fournit un, et peu importe que le poilu exhumé ne soit pas le bon ! Encore plus choquant : les dépouilles, exhumées en général rapidement et sans trop de précautions en pleine nuit, ne sont parfois pas complètes, ou combinent les restes de morts différents ensevelis dans une même fosse lors des combats. Comble du cynisme, il arrive que les moins scrupuleux des entrepreneurs ou de leurs hommes de main ajoutent du sable dans les cercueils pour faire le poids. Le transport lui-même donne lieu à des mésaventures macabres comme le montre dans sa thèse Béatrix Pau en rapportant cette anecdote : « Sur une route départementale à six kilomètres de Compiègne, alors qu’un camion emportait à vive allure deux corps exhumés clandestinement, les cercueils tombèrent, par suite des cahots. Sous le choc, les bières se brisèrent et les ossements, désormais mélangés, furent éparpillés sur le chemin. Comme il faisait nuit noire, le conducteur ne ramassa pas les débris humains et prit la fuite. Les dépouilles furent découvertes et recueillies par le service de l’état-civil aux armées 12 heures plus tard. Or, en raison de l’état des cercueils et de la dispersion des ossements, il fut certainement impossible au service de l’état-civil d’identifier les corps qui, de facto, devinrent inconnus. »

Conformément à la loi de décembre 1915 instituant la création des grands cimetières militaires destinés à regrouper les poilus inhumés dans les multiples cimetières de fortune du front, ce sont au total les restes de 960 000 corps qui, en 1924, auront été exhumés par les autorités. Environ 240 000 ont été rendus aux familles, les autres étant ré-inhumés dans les nouvelles nécropoles. Entretemps, la loi du 29 octobre 1921 avait institué, aux frais de l'État, le droit au pèlerinage annuel pour les familles désireuses de se rendre sur la tombe de leur parent inhumé dans une sépulture perpétuelle (un droit qui, en 2014, est toujours en vigueur).

Combien de soldats ont été exhumés illégalement durant ces années ? Impossible de le dire, mais le nombre s’élève sans doute à plusieurs milliers n’appartenant pas tous, loin s’en faut, à des familles aisées capables de supporter le coût de ces transferts illicites. Malgré les menaces judiciaires qui, conformément à la loi, ont pesé sur ces parents, très peu de poursuites ont été engagées, les acteurs de la justice s’étant montrés sensibles à la détresse des familles. Il y a pourtant bien eu, ici et là, des « mercantis de la mort » et des parents condamnés, principalement à des amendes, mais ils ont été peu nombreux et ces condamnations ont principalement été prononcées lorsque les exhumations ont été faites dans des conditions telles qu’elles ont abouti, dans certaines fosses, à des mélanges des restes humains interdisant de facto toute identification sérieuse des corps demeurant inhumés.

Cette affaire pourrait tenir du Grand-Guignol, ce théâtre parisien qui, durant la Belle Époque, attirait rue Chaptal les amateurs se spectacles macabres. Elle ne prête pourtant pas à sourire car elle n’est qu’une conséquence pathétique des terribles dégâts qu’à causés la Grande Guerre, tant sur les champs de bataille du nord et de l’est de notre pays que dans les familles de France, très durement touchées, notamment dans les classes ouvrière et paysanne. Il suffit, à cet égard, de regarder les monuments aux morts des petites communes rurales pour se convaincre de l’effroyable bilan de ce terrible conflit.

 

n° 11 - Nettoyage d'une tombe

Nettoyage et entretien d’une tombe

Le nettoyage d’une tombe permet d’honorer la mémoire du défunt au quotidien et de conserver la lisibilité des différentes gravures (noms, dates de décès etc). Les intempéries telles que le vent, la pluie et la grêle pouvant dégrader la tombe sur le long terme.

Faire appel à un professionnel ou le faire soi-même ?

Lorsque l’on réside loin du cimetière en question, il n’est pas si facile de trouver un prestataire qui pourra prendre en charge le nettoyage et l’entretien de tombes. De plus, le faire soi-même semble compliqué : quels outils utiliser ? Quels produits pour une pierre tombale en granit ou en pierre ? Autant de questions complexes qu’il est préférable de laisser ce travail à un professionnel. C’est aussi un moyen de se consacrer pleinement aux prières et au recueillement.

Les prestations d’entretien de tombes sont généralement proposées sous la forme d’abonnement. Vous souhaitez un entretien régulier ? Il vous suffit de choisir la fréquence qui vous convient : mensuel, trimestriel, annuel. Vous avez besoin d’un entretien ponctuel (anniversaire, 1er novembre avec des fleurs de Toussaint etc.) ? Le prestataire effectue le travail à votre convenance.

Les professionnels en charge du nettoyage de pierre tombale utilisent des outils et produits spécifiques sont utilisés pour chaque matière (pierre tombale en granit ou pierre poreuse).

Le partenaire sélectionné par Meilleurs Marbriers assure un service de qualité :

- Un nettoyage à la main : aucun outil puissant qui risquerait d’abîmer la pierre

- Un nettoyage écologique : sans produits chimiques qui dégraderaient le monument et nocifs pour l’environnement.

- Un fleurissement de la tombe

- Un nettoyage des plaques funéraires

- Envoie d’une photo par e-mail de la tombe entretenue

Les marbriers funéraires ne proposent généralement pas ce type de service, ils se concentrent principalement sur la restauration des monuments.

Il existe cependant des sociétés spécialisées sur se secteur d’activité. Certaines d’entre elles couvrent même la quasi-totalité du territoire français.

Meilleurs Marbriers sélectionne pour vous un prestataire qui réalise lui-même les interventions, sans sous traitance, garantissant un service personnalisé et meilleurs prix.

 

Nota : à savoir que la mairie peut obliger la famille à effectuer l’entretien de sépulture si celle-ci est dans un état qui nuit à l’image du cimetière concerné. La plupart du temps, la mairie informe la famille de l’état de la tombe en question par courrier ou via un panneau posé à côté du monument. C’est une obligation légale de ne pas laisser se délabrer une pierre tombale. Si aucune mesure n’est prise, la commune peut entamer une procédure de reprise de la sépulture. Chaque cimetière a sa propre règlementation d’entretien, il faut en prendre connaissance pour éviter les mauvaises surprises.

 

http://meilleurs-marbriers.com/conseils-marbrerie-funeraire/entretien-tombe-nettoyage-de-pierre-tombale/

n° 10 - Qu'est-ce qu'une tombe de regroupement ?

Necropole d albert somme le 2882012Nécropole d'Albert (Somme) le 25 août 2012

Les centaines de cimetières militaires de la Grande Guerre, lieux de mémoire, ont des origines variées : les uns sont créés au moment même des combats dans la zone du front, d’autres s’établissent à proximité des formations sanitaires plus à l’arrière recueillant les combattants mortellement blessés. Après la guerre, une dernière catégorie apparaît, correspondant à des regroupements de petits cimetières, de tombes éparses et de fosses communes. Des travaux et des fouilles furent systématiquement entrepris pour exhumer des champs de bataille les corps disparus et procéder au travail d’identification. Cette tâche concerna également les cimetières provisoires où de nombreuses erreurs furent constatées concernant les mentions surmontant les tombes. Dans ces cimetières, symboles de reconnaissance nationale, s’effectue une partie du travail de deuil de dizaines de milliers de familles éplorées qui peuvent s’y rendre après-guerre. La construction de cimetières de regroupement eut aussi pour objectif de faciliter la restitution des corps aux familles qui en faisaient la demande. Entre 1921 et 1923, ce sont 240 000 dépouilles qui furent exhumées et déplacées à travers tout le pays vers les cimetières communaux. Quant aux sépultures militaires demeurées dans les nécropoles nationales ou dans les carrés militaires des cimetières communaux, elles étaient entretenues par l’État et donnaient droit à un pélérinage familial annuel financé par la collectivité. La procédure fut peu utilisée en Allemagne du fait du contexte politique né de la défaite et des difficultés économiques. Par contre, dans tous les pays du Commonwealth, on refusa cette restitution suivant une vieille coutume aristocratique qui veut que les combattants soient enterrés sur le champ de bataille.

tombe de regroupementTombe de regroupement

Les cimetières de regroupement et la restitution des corps

De 1920 à 1930, l’État français procéda au rassemblement des corps dans des nécropoles nationales. À l’Armistice, le territoire composant l’ancienne zone des armées, fut divisé en 55 secteurs (chiffre auquel il faut ajouter 7 secteurs en Alsace- Lorraine). Ces secteurs étaient eux-mêmes divisés en carrés nettement délimités. Des travaux et des fouilles furent systématiquement entrepris pour exhumer des champs de bataille les corps disparus et procéder au travail d’identification. Cette tâche concerna également les cimetières provisoires où de nombreuses erreurs furent constatées concernant les mentions surmontant les tombes. La construction de cimetières de regroupement eut aussi pour objectif de faciliter le recueillement des familles et d’organiser le transfert des corps vers les cimetières communaux pour les familles qui en faisaient la demande. Ainsi, entre 1921 et 1923, ce sont 240 000 dépouilles qui furent exhumées et déplacées à travers tout le pays. La prise en charge de la restitution des corps aux familles fut permise par la loi de finances du 31 juillet 1920 et le décret du 28 septembre 1920 assurant la totalité de l’opération depuis l’exhumation et le transport jusqu’à l’inhumation dans le cimetière communal. Quant aux sépultures militaires demeurées dans les nécropoles nationales ou dans les carrés militaires des cimetières communaux, elles étaient entretenues par l’État et donnaient droit à un pélerinage familial annuel financé par la collectivité. L’Allemagne, dépendant de la France suite au traité de Versailles, suivit la même procédure. Dans tous les pays du Commonwealth, on refusa cette restitution en s’appuyant sur la tradition aristocratique britannique qui veut que le corps d’un soldat repose sur le lieu de sa mort. Aux Etats-Unis, le gouvernement, selon la volonté de chaque famille, prit en charge le rapatriement des corps aux États-Unis ou procéda au regroupement des corps dans des nécropoles nationales.

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n° 9 - Reprise des concessions funéraires en état d'abandon

Reprise des concessions funéraires en état d'abandon

 

Exhumation 219

 

Principe

- Le régime juridique applicable à la procédure de reprise des concessions funéraires est défini par l'article L. 2223-17 du Code général des collectivités territoriales : "Lorsque après une période de trente ans une concession a cessé d'être entretenue, le maire peut constater cet état d'abandon par procès-verbal porté à la connaissance du public et des familles. Si trois ans après cette publicité régulièrement effectuée, la concession est toujours en état d'abandon, le maire a la faculté de saisir le conseil municipal qui sera appelé à décider si la reprise de la concession, même perpétuelle, doit ou non être prononcée ; dans l'affirmative le maire peut prendre un arrêté prononçant la reprise par la commune des terrains affectés à cette concession". Ce droit peut être analysé comme résultant du non-respect par le concessionnaire de son obligation morale de maintenir la concession en bon état d'entretien, afin qu'elle ne vienne pas, par un aspect délabré et lamentable caractéristique d'un état d'abandon, troubler la décence due à ce lieu affecté au culte des morts. Mais la reprise est une opération grave et irréversible qui nécessite des règles strictes. Aussi le juge administratif contrôle-il avec minutie le respect de la procédure fixée (CE, 24 nov. 1971, n° 79385).

À cet égard, il convient de rappeler que l'obligation d'entretien s'applique à toutes les concessions, même si elles ne sont pas bâties et utilisées (Rép. min n° 9806 : JOAN 3 juin 2008, p. 4691).

 

Attention : Notion d'abandon. Éléments matériels.

 - En l'état actuel du droit, la notion d'abandon d'une concession funéraire, situation en fonction de laquelle le terrain affecté peut être repris par la commune, résulte du défaut d'entretien et ne semble pas devoir impliquer nécessairement l'état de ruine de la sépulture. Cet état se caractérise néanmoins par des signes extérieurs nuisibles au bon ordre et à la décence du cimetière. C'est dans ce cadre qu'il convient de rechercher si l'état d'abandon d'une concession justifie sa reprise. Il ressort de la jurisprudence qu'une concession qui offre une vue déplorable, "délabrée et envahie par les ronces ou autres plantes parasites" (CE, 24 nov. 1971, n° 79385, cne Bourg-sur-Gironde), ou "recouvertes d'herbe ou sur lesquelles poussent des arbustes sauvages" (CAA Nancy, 3 nov. 1994, n° 93NC00482 : JurisData n° 1994-051596), est la preuve de son abandon.Les procès-verbaux rédigés au cours de la procédure doivent donc rapporter et décrire, avec le plus de précisions possibles, pour chaque sépulture considérée, les éléments matériels de nature à caractériser l'état d'abandon qui relève d'une appréciation au cas par cas (Rép. min. question n° 12072 : JO Sénat 11 nov. 2010, p. 2966).

 

Procédure de reprise d'une concession

 - La procédure de reprise des concessions est particulièrement formaliste, son strict respect conditionne sa réussite (CGCT, art. R. 2223-12 à R. 2223-23). Elle peut paraître longue, mais l'enjeu est important, car elle peut porter atteinte au libre exercice par la famille du culte des morts.

L'article L. 2223-18 du Code général des collectivités territoriales stipule :

Un décret en Conseil d'État fixe :

- les conditions dans lesquelles sont dressés les procès-verbaux ;

- les modalités de la publicité qui doit être faite pour porter les procès-verbaux à la connaissance des familles

et du public ;

- les mesures à prendre par les communes pour conserver les noms des personnes inhumées dans la concession et la réinhumation ou la crémation des ossements qui peuvent s'y trouver encore.

 

Modalités de mise en œuvre

 - Il résulte de ces dispositions que, pour qu'une concession funéraire puisse être reprise par la commune, il faut que soient réunies les huit conditions suivantes :

- que cette concession ait plus de trente ans d'existence, délai porté à cinquante ans quand l'acte de décès de la personne inhumée porte la mention "mort pour la France". Cette disposition ne s'applique pas aux concessions centenaires qui peuvent être reprises à leur terme normal. De plus, aucune inhumation ne doit y avoir été effectuée depuis moins de dix ans ;

- que le procès-verbal de constat d'abandon soit dressé par le maire ou son délégué, à l'exclusion de toute autre personne. La famille, si elle est connue, doit être invitée à y assister, par lettre recommandée un mois au moins à l'avance ; dans le cas contraire, un avis doit être affiché dans les conditions habituelles à la mairie, mais aussi à la porte du cimetière. Le procès-verbal doit être signé par le maire, ainsi que par les personnes qui ont assisté au constat des lieux (CGCT, art. R. 2223-14) ;

 

Conseil pratique

Selon l'article R. 2223-13 du Code général des collectivités territoriales, modifié par l'article 42 du décret n° 2011-121 (cité supra n° 1), le constat de l'état d'abandon d'une concession est dressé par le maire ou un adjoint auquel il a délégué son pouvoir de police, après transport sur les lieux "en présence d'un fonctionnaire de police délégué par le commandant de la circonscription de sécurité publique, ou, à défaut, d'un policier municipal ou d'un garde champêtre". La présence d'un commissaire de police n'est plus prévue. Cette nouvelle réglementation, mieux adaptée à la réalité, ne résout pas les difficultés des communes qui, en zone rurale, ne disposent ni de gardes champêtres, ni de police municipale. Interrogé sur ce point par un parlementaire, le ministre chargé de l'intérieur, après avoir rappelé la possibilité pour les communes d'envisager un recrutement de gardes champêtres ou d'agents de police municipale, dans un cadre intercommunal, évoque la solution consistant à faire appel à un garde champêtre agréé et assermenté d'une commune voisine, dans le cadre d'une convention. En dernier ressort, le maire peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et, en l'absence ou en cas d'empêchement des adjoints ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d'une délégation, à des membres du conseil municipal uniquement (Rép. min n° 3998 : JOAN 16 déc. 2002, p. 4993). À noter que le maire peut procéder seul au constat.

- que le procès-verbal décrive avec précision l'état dans lequel se trouve la concession (délabrement général, envahissement par des ronces ou autres plantes parasites, pierre tombale en mauvais état, etc.). Le défaut d'inhumation n'équivaut pas à son abandon, puisqu'il suffit de continuer à entretenir extérieurement la concession pour rendre impossible la procédure de reprise (V. Rép. min. n° 42741 :

JOAN Q 14 janv. 1978, p. 135) ;

- que ce procès-verbal ait été notifié, dans les huit jours, par lettre recommandée avec accusé de réception à la famille s'il en existe encore des représentants, ainsi qu'aux personnes chargées de l'entretien de la concession, et qu'il les mette en demeure de rétablir la concession en bon état d'entretien ; que dans le même délai de huit jours, des extraits du procès-verbal aient été portés à la connaissance du public par voie d'affiches apposées durant un mois à la porte de la mairie, ainsi qu'à la porte du cimetière. Un certificat signé par le maire constate l'accomplissement de ces affichages. Il est annexé à l'original du procès-verbal ;

- que l'état d'abandon de la concession n'ait pas été interrompu dans les trois ans qui ont suivi l'affichage des extraits du procès-verbal ; dans le cas contraire cet acte est le point de départ d'un nouveau délai de trois ans ;

- que trois ans après l'affichage du procès-verbal constatant l'état d'abandon de la concession, un nouveau procès-verbal établi, en respectant les mêmes formalités que le premier, et notifié aux intéressés avec indication des mesures à prendre, ait permis de constater que, malgré la mise en demeure, la concession est toujours en état d'abandon ;

- que le conseil municipal, saisi par le maire dans les délais fixés, de la question de savoir s'il convient

de reprendre la concession, ait décidé cette reprise (CGCT, art. R. 2223-18) ;

- enfin, s'il s'agit d'une concession centenaire ou perpétuelle, que son entretien n'incombe pas à la commune ou à un établissement public, en exécution, d'une donation ou d'une disposition testamentaire, régulièrement acceptée (CGCT, art. R. 2223-23).

 

Attention : Cette dernière clause doit inciter les communes à n'accepter les legs de cette nature qu'après qu'elles se sont assurées que leur montant permettrait de remplir tous les engagements en résultant. Par dérogation, une procédure spéciale est prévue pour les départements d'Alsace-Moselle, en ce qui concerne les concessions accordées avant le 11 novembre 1918, à des personnes de nationalité allemande à la date du 22 janvier 1919, et ayant quitté la France, aux termes de laquelle, une fois le procès-verbal constatant l'état d'abandon porté à la connaissance du public : "lorsque dans les six mois qui suivent cette publicité, il ne se présente aucun ayant droit du concessionnaire, le maire a la faculté de prononcer, par arrêté et sur avis conforme du conseil municipal, la reprise des terrains affectés a ces concessions" (CGCT, art. L. 2542-27). En bref, le délai de droit commun de trois ans est ramené à six mois.

 

Conseil pratique

Une difficulté particulière peut se présenter pour la commune qui veut récupérer une concession à l'abandon alors que, occupée ou non, son identification est impossible, soit qu'il n'y ait aucun nom sur la pierre tombale, soit qu'il n'y ait qu'un numéro sur le

plan du cimetière. Dans les deux cas, il y a bien eu achat à l'origine, mais le maire ne peut retrouver trace du nom des acquéreurs dans les documents en sa possession. Le conseil qui pourrait lui être donné dans un tel cas serait de faire rechercher les renseignements auprès de la recette municipale qui a du procéder à l'enregistrement de la vente.

 

Décision du maire - Au terme de la procédure décrite supra (n° 93) et après délibération favorable du conseil municipal, "le maire peut prendre un arrêté prononçant la reprise par la commune des terrains affectés à cette concession" (CGCT, art. L. 2223-17) ; il s'agit d'une faculté donnée au maire, et non d'une obligation. Cet arrêté doit préciser que les monuments et emblèmes funéraires restés sur les concessions seront retirés dans un délai d'un mois. L'arrêté est exécutoire de plein droit dès qu'il a été procédé à sa publication et à sa notification (CGCT, art. R. 2223-19). Sa publication est effectuée dans les conditions habituelles : toute personne a le droit de se le faire communiquer ainsi que les procès-verbaux, conformément à l'article L. 2121-26 du Code général des collectivités territoriales.

 

Conseil pratique

La commune, en raison de l'intérêt architectural ou de l'intérêt historique local qui se rattache à certains monuments funéraires, peut décider de les entretenir à ses frais. Ces monuments peuvent également faire l'objet d'une protection particulière, sur le fondement des articles L. 621-1 et suivants du Code du patrimoine (classement au titre des monuments historiques, inscription à l'inventaire supplémentaire). Dans cette hypothèse, c'est la procédure de droit commun qui s'applique : une association de protection du patrimoine pouvant alors, en accord avec la commune, prendre en charge l'entretien et la préservation de la sépulture (Rép. min. n° 11105, citée supra n° 65).

 

Conséquences de la décision de reprise d'une concession funéraire

 - Trente jours après la publication et la notification de sa décision sous forme d'un arrêté, le maire :

- "peut faire enlever les matériaux des monuments et emblèmes funéraires restés sur la concession" (CGCT, art. R. 2223-20, al. 1).Désormais, la commune n'est plus tenue d'affecter le produit de leur vente à l'aménagement du cimetière communal (V. supra n° 52) ;

- fait procéder à l'exhumation des restes des personnes inhumées. Pour chaque concession, lorsque le cercueil est trouvé détérioré, les restes sont réunis dans un cercueil de dimensions appropriées ou une boîte à ossements (CGCT, art. R. 2223-20, al. 2). Leur réinhumation dans l'ossuaire doit intervenir immédiatement. En l'absence d'opposition connue ou attestée du défunt, attestée ou présumée du défunt, le maire peut également faire procéder à leur crémation ; les cendres sont alors dispersées dans le jardin du souvenir du cimetière. Les noms des personnes exhumées, même si aucun reste n'a été retrouvé, sont consignés dans le registre ad hoc du cimetière ou gravés sur un dispositif en matériaux durables dans le jardin du souvenir ou au-dessus de l'ossuaire (CGCT, art. R. 2223-6). Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l'ossuaire (CGCT, art. L. 2223-4 créé par L. n° 2008-1350, citée supra n° 1).

À l'issue de ces opérations, le maire peut alors réaffecter le terrain.

 

Attention : À cet égard et en réponse à plusieurs questions écrites de parlementaires, le ministre chargé de l'intérieur a cru bon de rappeler que, "[...] Dans l'hypothèse où la commune envisage de réattribuer à un tiers une concession funéraire qui a fait l'objet d'une procédure de reprise, elle doit au préalable faire procéder à l'exhumation des restes mortuaires qui s'y trouvent.

Cette opération, qui relève de l'entretien général du cimetière communal, constitue une des dépenses obligatoires qui incombent aux communes en application des dispositions du quatorzième alinéa de l'article L. 2321-2 du Code général des collectivités territoriales. Par conséquent, seules les concessions funéraires reprises pour lesquelles l'exhumation des restes mortuaires a été pratiquée peuvent faire l'objet d'une réattribution par la commune" (Rép. min. n° 54352 : JO Q 13 août 2001, p. 4711).

 

Règlement des litiges relatifs aux concessions

 

Juridictions compétentes

 - Le règlement des litiges relatifs aux concessions est partagé entre les deux ordres

de juridictions (T. confl., 6 juill. 1981, n° 02193).

 

Relèvent des tribunaux de l'ordre administratif :

- les litiges concernant la validité et l'étendue des contrats de concessions s'élevant entre la commune et le concessionnaire, par application de l'article 1er du décret du 17 juin 1938 car ils comportent occupation du domaine public communal ;

- les litiges nés de l'exercice du pouvoir de police des cimetières : suite au refus du maire d'autoriser l'inhumation d'un défunt dans une concession à la demande d'un ou plusieurs héritiers ou encore en cas d'exécution d'office par décision du maire fondée sur l'imminence du péril. Le juge appréciera la légitimité des motifs tirés de l'intérêt général, invoqués par le maire.

Relèvent des tribunaux de l'ordre judiciaire (T. confl., 6 juill. 1981, Jacquot c/ cne Maixe : JurisData n° 1981-040769 ; Rec. CE 1981, p. 506) :

- les atteintes portées par l'administration communale aux droits des concessionnaires, lorsque elles présentent le caractère d'une emprise irrégulière ou d'une voie de fait ;

- les litiges nés des questions de droit civil relatives aux concessions funéraires : droits des familles à utiliser un caveau (Cass. 1re civ., 23 mars 1977 : Bull. civ. n° 235) ; transmission héréditaire des droits sur une concession (Cass., 25 mars 1958, Py c/ Roger. - CA Amiens, 20 nov. 1960) ; droit du concessionnaire sur le monument funéraire élevé sur la concession (T. civ. Seine, 21 juin 1938 : DH 1938, p. 589).

 

Source : http://www.lexisnexis.fr/

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n° 7 - Le film "Joyeux Noël"

Joyeux noel

Decouvrir   Joyeux Noel : LA TRÊVE

 

Une coproduction européenne


Ce film, symbole de la fraternisation transfrontalière, est une coproduction européenne à laquelle ont participé plusieurs sociétés de nationalités différentes : Nord-Ouest Productions pour la France, Artemis Productions pour la Belgique, Senator Film Produktion pour l'Allemagne, The Bureau pour la Grande-Bretagne et MediaPro Pictures pour la Roumanie. Cette "européanisation" s'en ressent dans le casting composé d'acteurs tout aussi bien français (Guillaume Canet, Dany Boon), qu'allemands (Benno Fürmann, Daniel Brühl, Diane Kruger) ou anglais (Gary Lewis).
 

Genèse du projet


Tout est parti d'un livre, Batailles de Flandres et d'Artois 1914-1918 de Yves Buffetaut, que Christian Carion a découvert en 1993. Dans cet ouvrage, le réalisateur est tombé sur un passage intitulé L'Incroyable Noël de 1914, où l'auteur évoque les fraternisations entre ennemis, l'épisode du ténor allemand applaudi par les soldats français, le match de foot, les échanges de lettres, les sapins, les visites de tranchées mutuelles... Bouleversé par une telle trouvaille, l'apprenti-cinéaste a alors appelé son futur producteur, Christophe Rossignon, pour lui en toucher un mot et lui envoyer un synopsis. Ce dernier a trouvé le sujet magnifique, mais conscient de son ampleur, il lui a confié de d'abord faire ses armes en tournant quelques courts métrages. C'est après le succès du premier long de Christian Carion, Une hirondelle a fait le printemps, que le producteur l'a encouragé à s'atteler à ce qui allait devenir Joyeux Noël.
 

Un gros travail de recherche
 

En 2002, Christian Carion s'est attaqué à l'écriture du scénario. Son premier travail a été de se documenter sur les fraternisations, de récupérer toutes les informations possibles pour savoir concrètement ce qui s'était passé.
"J'ai exhumé une série de faits divers extraordinaires dans les archives britanniques pour beaucoup, et plus tard françaises et allemandes, explique le réalisateur. Autant dire que l'on n'y entre pas facilement. Ce sont des lieux essentiellement fréquentés par des historiens professionnels. Grâce à Yves Buffetaut, j'ai pu accéder à ces documents. En France, ils sont gardés par l'armée qui, si elle ne peut en empêcher la consultation, n'en fait pas la publicité. Quant aux archives allemandes, je n'ai pas eu de mal à les consulter puisque beaucoup sont gardées en France, c'est la conséquence de la Seconde Guerre mondiale."


Non à l'exécution des chats !
 

Au cours de ses recherches, Christian Carion avait lu l'histoire d'un chat qui circulait d'une tranchée à l'autre et qui, accusé d'espionnage, a été arrêté par l'armée française, puis fusillé en application du règlement. Le cinéaste avait voulu montrer cela dans son film, il a donc tourné cette séquence très dure d'exécution, malgré le refus de certains figurants d'être du peloton. 
Ayant eu beau leur expliquer que cette scène s'était vraiment déroulée pendant la guerre (et qu'ils tireraient à blanc), ils n'ont pas cédé. Finalement, au montage, le cinéaste a décidé de ne pas garder cette mise à mort. "C'était trop, explique-t-il. Les spectateurs auraient décroché, ils n'y auraient jamais cru alors que c'est arrivé !"


Impressions de tournage
 

Une fois surmontées quelques difficultés de financement, le tournage a pu débuter en août 2004. Christian Carion s'est d'abord chargé de filmer les scènes de guerre, camp par camp, pour que les acteurs ne se voient pas ou alors dans la confrontation. "C'est très bête, mais du coup, à la cantine, c'était chaque tranchée pour soi, explique le réalisateur. Par habitude, pas par méchanceté. Et puis très vite, nous avons attaqué les scènes de fraternisation et là c'est devenu formidable, parce que les discussions commencées entre les prises par ces acteurs allemands, écossais ou français mélangés, se poursuivaient hors du plateau. Il régnait un véritable esprit de famille. Dans les moments les plus difficiles, comme quand le tournage a été repoussé de plusieurs mois après que l'armée française nous a refusé l'autorisation de recréer le no-man's land sur un de ses terrains, les acteurs ont continué à montrer leur attachement au projet."


Retrouvailles avec le compositeur Philippe Rombi
 

Joyeux Noël marque les retrouvailles de Christian Carion avec Philippe Rombi, le compositeur de la musique d'Une hirondelle a fait le printemps. "J'ai non seulement composé la musique originale de Joyeux Noël, déclare-t-il, mais également un hymne qui a son propre rôle dans le film, puisqu'il unifie les camps ennemis. J'étais donc impliqué dans l'écriture du scénario. Et puis Christian m'a permis de réaliser un rêve de gosse en me faisant travailler avec le London Symphony Orchestra."
 

Présenté à Cannes 2005
 

Ce film a été présenté au Festival de Cannes 2005 en sélection officielle, hors-compétition.
 

Pour les Oscars 2006
 

C'est en projetant Joyeux Noël dans une salle le mercredi 21 septembre 2005 (au Cinéma Le Régency à Saint-Pol-sur-Ternoise dans le Pas-de-Calais) que le distributeur UGC a permis à ce drame historique, attendu sur les écrans le 9 novembre, d'être Le film retenu par la Commission du Centre National de la Cinématographie pour représenter la France dans la course aux Oscars 2006. Pour être éligible, le long métrage devait en effet être sorti entre le 1er octobre 2004 et le 30 septembre 2005 et être majoritairement tourné en langue française.

 

n° 6 - Un code-barre placé sur la stèle

Qr code

Il est désormais possible pour les visiteurs de certains cimetières d'accéder à la biographie d'un défunt, à des photos ou à des témoignages, en scannant avec leur smartphone un code-barre («code QR») placé sur sa stèle.

Les plaques mortuaires seront-elles remplacées par des «codes QR»? Ce concept, né aux États-Unis, a pour but de créer un mémorial, alliant textes et photos, en l'honneur d'un défunt et visionnable grâce à un code QR.

Un code QR est un code-barre en deux dimensions qui permet d'accéder à du contenu en ligne. Chaque proche peut ainsi acheter un «package» auprès d'entreprises spécialisées comme Adengalis, un site créé par Jean-Pierre Gaudel en 2013. «Cette idée vient d'une expérience personnelle. J'ai perdu un proche qui n'était pas une personnalité mais qui a eu une vie bien remplie. Et je trouvais dommage que sa «mémoire» disparaisse. Cette nouvelle technologie gratuite, universelle et facile d'emploi a également convaincu Laurent Perrin, créateur du site en-souvenir.fr. «Je me suis lancé sur ce marché parce que ça n'existait pas en France. C'était déjà bien développé en Angleterre puisqu'on estime à 15% le nombre de tombes équipées de QR Codes. Les clients achètent un médaillon avec le Code à mettre sur la tombe ainsi qu'un espace internet et écrivent ce qu'ils veulent».

Mais si les entreprises se dédouanent de toute responsabilité quant au contenu, Laurent Perrin avoue qu'il contrôle tout de même toujours ce que contient l'espace internet pour éviter tout texte contenant des propos racistes ou images déplacées. En avril 2014, le sénateur Jean-Pierre Sueur s'était inquiété de ces QR Codes et de la possibilité que les informations qu'ils contiennent soient modifiées à distance. «Nous avons mis en place un certain nombre de sécurités pour que les contenus ne soient pas modifiables. Après, cela reste internet, il peut y avoir du piratage de donnés. Il y en a déjà eu, et il y en aura encore, on n'est à l'abri de rien», confie Laurent Perrin. Parmi les sécurités mises en place chaque personne créant un compte se voit confier un identifiant et un mot de passe à chaque fois.

Un marché qui peine à décoller

L'autre principale question que pose cette nouvelle technologie concerne l'accès aux données. En effet, tout le monde peut avoir accès au QR Codes puisqu'il suffit de le flasher avec son smartphone. Mais le créateur d'en-souvenir.fr se défend de faciliter une forme de voyeurisme. «C'est aussi le but de partager la mémoire du défunt. On voit ce que les personnes veulent bien nous montrer». Pour Jean-Pierre Gaudel, «la question du respect est essentielle».

Malgré toutes ces précautions le marché du «code QR funéraire» tarde à décoller en France. La faute notamment à un service très novateur et auquel les gens ont encore un peu de mal à s'habituer. Laurent Perrin lui, parle d'un problème générationnel. «En France on a un rapport plus intime à la mort et je pense que les gens qui «fréquentent» les cimetières ne sont pas forcément ceux qui utilisent le plus les smartphones. Actuellement, on reçoit 15 à 20 commandes par mois».

Des propos que confirme Claire, 76 ans, de la région Picardie. Elle a fait un mémorial pour son mari mais ce n'est pas elle qui est à l'origine de cette idée. «Je ne connaissais pas le concept, c'est ma fille et ma petite fille qui m'en ont parlé. Au début ça m'a semblé étrange et abstrait, mais le rendu est superbe. C'est à la fois très personnel et aussi un bel hommage pour sa mémoire».

Prochaine étape pour en-souvenir.fr, la géolocalisation de la tombe pour éviter de se perdre dans les grands cimetières, qui devrait voir le jour au troisième trimestre 2016.

Le Figaro - 31 octobre 2015

n° 5 - Le rôle du Souvenir Français

ROLE DU SOUVENIR FRANCAIS

 

1) Nécropoles nationales. Leur entretien est à la charge de l’état. Exceptionnellement et après accord de son conseil d’administration, le Souvenir Français peut participer financièrement à des opérations de rénovation de celles-ci.

2) Carrés militaires des cimetières communaux. L’Etat alloue une modeste contribution pour les seules tombes de soldats ou de victimes civiles “Morts pour La France”  au sens juridique du terme (morts au cours d’une opération de guerre; étant en service et dont les circonstances de la mort ont donné lieu à l’attribution de la mention « Mort pour la France » à l’état civil). Ils ne concernent que les morts des 2 dernières guerres mondiales (à partir de 1914). Cette contribution de 1,27 € par an est versée :

· Soit aux communes, à charge pour  elles d’entretenir ces tombes.

· Soit au Souvenir Français (convention entre l’état et le Souvenir Français) à charge pour l’association d’entretenir ces tombes.

· En outre, dans les carrés militaires existent d’autres sépultures qui ne relèvent pas de la compétence  de l’Etat.

  • Tombes de « Morts pour la France » dont les corps ont été restitués aux familles
  • Tombes de militaires ne bénéficiant pas de la mention     « Morts pour la France » (hors guerre ou de garnison).

Le Souvenir Français veille également à l’entretien des ces autres tombes en liaison avec les communes concernées. Pour des travaux de rénovation des carrés, l’Etat  (DMPA.) doit assurer une participation financière au prorata de tombes relevant de sa compétence.

3) Sépultures familiales en déshérence. Le Souvenir Français a pour objet d’entretenir les tombes de ceux et de celles qui sont « Morts pour la France » ou qui l’ont honorée par de belles actions. Or l’Etat s’est dégagé de tout entretien des tombes de ceux et de celles « Morts pour la France » ou  qui l’ont servie avec éclat et dont les corps ont été restitués aux familles. Lorsque les familles n’existent plus et que ces tombes sont abandonnées, sur demande du comité, avec l’accord de la municipalité qui a autorisé et concédé la perpétuité,  le Délégué Général local du Souvenir Français  peut décider que l’association les prend en charge.

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n° 4 - Le Soldat Inconnu

Tombe du soldat inconnuTombe du Soldat Inconnu sous l'Arc de Triomphe

 

Le plus souvent, notre histoire se construit autour de personnages illustres et de dates mémorables. Or, le nom d’Auguste Thin (1899-1982), caporal au 132ème régiment d’infanterie, enterré dans le vieux cimetière d’Asnières, et la date du 10 novembre 1920, ne sont pas les plus connus par nos écoliers, ni les plus évoqués par les historiens de la première guerre mondiale.

Et pourtant…

Ce 10 novembre 1920, le soldat Auguste Thin est à la citadelle de Verdun. Devant lui huit cercueils en ligne, anonymes, venant des différents secteurs de l’ancien front militaire (Chemin des dames, Somme, Verdun…). En vérité, le front contenait neuf secteurs, mais l’un des responsables de l’enquête ne peut certifier que le dernier corps proposé est bien celui d’un Français.

Citadelle choix soldat inconnu zoomCitadelle de Verdun - reconstitution

Le jeune caporal de 21 ans, pétrifié par l’émotion, tient dans sa main un bouquet d’œillets blancs et rouges que vient de lui donner le ministre des Pensions, André Maginot. Il avance lentement, passant en revue ces soldats sans noms, morts pour la France, comme son propre père. Auguste Thin se retourne, revient devant le sixième cercueil et y dépose le bouquet, désignant ainsi le soldat inconnu qui devra rejoindre son dernier tombeau, sous l’Arc de Triomphe.

Auguste Thin

Plus tard, le caporal explique son choix : «Il me vint une pensée simple. J’appartiens au 6èmecorps. En additionnant les chiffres de mon régiment, le 132, c’est également le chiffre 6 que je retiens. La décision est prise, ce sera le 6ème cercueil que je rencontrerai.»

Dés 1916, François Simon, Président du Souvenir Français, avait évoqué l’idée d’inhumer un soldat anonyme pour rendre hommage à tous les disparus: «Pourquoi la France n’ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à l’un de ses combattants ignorés, mort bravement pour la patrie ?».

Des combattants ignorés, la Première Guerre mondiale en voit des mille et des cents… Sur les un million-quatre-cents-mille morts des seuls rangs français, les corps de trois-cents-mille victimes officiellement déclarées décédées ne seront jamais restitués aux familles. Et il y a plus de trois-cent-cinquante-mille disparus, «pulvérisés sur le champ de bataille» comme l’écrit l’historien Jean-Yves Le Naour (1).

Même si une proposition de loi est déposée en ce sens à la fin de la guerre, soulevant une vive polémique, il faudra attendre l’automne 1920 pour que le parlement, poussé par une campagne de presse intensive en particulier de l’Action Française, décide du choix d’un soldat inconnu et de son inhumation sous l’Arc de Triomphe. Le Panthéon est également évoqué mais, comme l’écrit le journaliste du Matin Henry de Jouvenel : «Ne l’enfermez pas au Panthéon. Portez-le au sommet de l’avenue triomphale, au milieu de ces quatre arches ouvertes sur le ciel. C’est lui, l’inconnu, l’anonyme, le simple soldat, qui donne tout son sens à l’Arc de Triomphe.»

Depart de verdun

Le cortège funèbre jusqu'à la gare de Verdun

 

Dans la nuit du 10 au 11  novembre 1920, par le train, la dépouille du Soldat inconnu arrive à Paris. Après un passage au Panthéon, son cercueil emprunte la rue Soufflot, en direction de l’Arc de Triomphe, monté sur un canon de 155 dominant la foule. «Ce mort qui va passer, c’est l’enfant de tout un peuple en larmes», écrit l’envoyé spécial de l’hebdomadaire l’Illustration.

vers l'arc de triomphe

soldat inconnu

 

 

enterrement soldat inconnu 1Le Soldat inconnu est solennellement enterré sous l’Arc de Triomphe le 28 janvier 1921.

A la même heure, auguste THIN enterrera les sept autres inconnus restés à la citadelle. Sept tombes anonymes au cimetière du faubourg Paué, à Verdun

 

Tombe du soldat inconnu paris 5

 

Sources :

·Le Soldat inconnu, la guerre, la mort, la mémoire", de Jean-Yves Le Naour (éditions Découvertes Gallimard, 2008).

·Le Soldat inconnu, invention et postérité d’un symbole" (éditions Imago, 2005), Jean-François Jagielski

 

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n° 3 - La "fleur des veuves"

1er novembre

 

Le chrysanthème en France.
 


L'entrée du chrysanthème au cimetière date du 11 novembre 1919. C'est le Président Raymond Poincaré et les pouvoirs publics de l'époque qui ordonnèrent le fleurissement des monuments aux morts et des tombes de soldats au premier anniversaire de l'armistice de la guerre 14/18. 

La seule plante fleurie et robuste de saison étant le chrysanthème, elle fut désignée pour ce fleuissement et produite en masse par les producteurs depuis cette date.

Avec le temps, la tradition de fleurissement des cimetières a été perpétrée et finalerment associée à la Fête des Morts du 1er Novembre et de la Toussaint. Le chysanthème se retrouve insolublement lié à la notion de mort, de cimetière.
Même si cette tradition très française se voulait être une manière en quelque sorte un peu “festive” de rendre hommage à nos disparus en fleurissant leur tombe chaque année, la connotation induite demeure plus souvent celle de la tristesse et du souvenir douloureux.
Contrairement à ce que l'on croit, lors de la troisième et quatrième république, les présidents français avaient fort à faire tant il y eut de chrysanthèmes à inaugurer. 

 

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n° 1 - Le transfert des corps des militaires de la Grande Guerre

*

Le transfert des corps des militaires de la Grande Guerre

 

 Rappelons-nous le vieil adage : « Si vis pacem, para bellum ». Si tu veux maintenir la paix, arme-toi pour la guerre.

Il serait d’actualité de le modifier : « Si vis vitam, para mortem ». Si tu veux supporter la vie, organise toi pour la mort1.  

 

      Tel était le constat de Sigmund Freud en 1915. La Grande Guerre tua, aveuglément, en masse. Or la mort en masse donna naissance à un deuil de masse. Les sociétés, ou pour reprendre l’expression plus appropriée de Jay Winter, les « communautés » françaises furent donc des « communautés en deuil »2, entraînant non seulement une nouvelle approche mais aussi un nouveau vécu de la mort dans lequel l’État joua un rôle central. En effet, gardien des dépouilles des héros de la Grande Guerre, la mort d’affaire privée devint une affaire publique. En quoi ce traumatisme provoqué par cette hécatombe amena-t-il l’État à être le maître d’œuvre de cette vaste opération de TDC ? 

I – Perte d’un être cher 

            A – Un deuil inachevé 

      Le deuil est non seulement l’état affectif douloureux provoqué par la mort d’un être aimé, mais aussi le temps qui suit cette disparition, période codifiée, dès l’antiquité, par les différentes sociétés humaines3. En effet, la mort généra des rites mortuaires, gestes culturels et cultuels, qui permettaient aux vivants de se séparer des morts, et aux morts de passer de la terre à l’au-delà, du monde des vivants à celui des morts. Au début de XXe siècle, quatre moments clés réglaient le deuil : l’oblation, la séparation, l’intégration, et la commémoration4. L’oblation, dont le rite majeur était la toilette mortuaire, consistait à entourer le défunt et à le préparer à son dernier voyage. La séparation était le moment de la contemplation du mort, de la veillée funèbre, moment où les proches prennent vraiment conscience de la mort et pleuraient le défunt (image caractéristique des pleureuses italiennes et corses par exemple). Les rites d’intégration, lors notamment des cérémonies funèbres, permettaient au mort d’être associé aux autres défunts, non seulement de la famille mais aussi de la communauté. Le défunt devenait désormais un souvenir que les vivants se devaient de commémorer. Le premier temps de cette commémoration était le banquet funèbre qui suivait l’enterrement. Là, la famille réunie, se remémorait le mort et les moments passés avec lui. Suivaient les hommages, cérémonies commémoratives, date anniversaire de la disparition etc.  

      Les rites mortuaires manifestaient le respect et l’attachement porté au défunt par ses proches. Ils rendaient également l’absence supportable. Or, mourir à la guerre, loin des siens, impliquait le non respect de l’ensemble de ces rites. L’absence des corps et la brutalité de la perte firent que toutes les procédures de préparation au deuil furent supprimées. Et, dès 1915, Freud avait pris conscience qu’en raison de la mort en masse, la guerre balayait la manière conventionnelle de traiter la mort5. Seuls les proches, peu nombreux du reste, qui purent assister aux derniers instants de l’être aimé et à ses obsèques (parce qu’il était décédé soit dans un hôpital de l’arrière soit à son domicile) accomplirent une grande partie des rites mortuaires (l’oblation à cause de la mort en masse fut difficilement réalisée et réalisable). Mais ces cas firent figures d’exception, car pour la quasi-totalité des endeuillés, seul le quatrième temps, celui de la commémoration, put être pleinement réalisé et leur deuil fut en conséquence inachevé. En effet, nombre d’endeuillés eurent du mal à faire leur « travail de deuil », à savoir dépasser le stade de la dépression due à la perte d’un être cher pour retrouver goût à la vie6.

Or, le culte moderne des morts est un culte du souvenir attaché au corps, à l’apparence corporelle7 

      Inhumer le corps en terre ou dans un tombeau était une tradition judéo-chrétienne, solidement ancrée au début du XXe siècle. Pour les chrétiens, l’inhumation faisait ainsi référence à la mise au tombeau du Christ, et marquait le passage de la vie terrestre à la vie céleste. Une fois mis au tombeau, le Christ allait rejoindre son Père, sa vie sur terre en tant qu’homme était terminée. En conséquence, pour les chrétiens, seule l’inhumation dans une terre consacrée scellait l’aboutissement d’une vie terrestre. Cette terre consacrée était, au début du XXe siècle, le cimetière.

      Le cimetière avait pris au XIXe siècle, en liaison avec la diffusion du romantisme, une place plus importante dans la mort. Il était devenu à la fois le lieu par excellence du culte des morts mais aussi celui des manifestations de l’expression de ce culte. Ce fut ce que Michel Vovelle appela, l’âge d’or des cimetières romantiques8. Et cet âge d’or garda son éclat jusque dans les premières décennies du siècle suivant. Ce fut donc le temps de la construction des grands cimetières, situés à la périphérie des villes.

      L’attachement au corps et le culte du tombeau firent que dès le décès connu, les endeuillés entreprirent des démarches personnelles pour retrouver la dépouille de l’être cher9 (quête qui s’accrut dès la cessation des hostilités10) et demander le cas échéant la restitution du corps.

      Ces demandes furent rédigées dans un style très différent : très officielles ou au contraire formulées avec le cœur, écrites directement par les proches ou par une personne intermédiaire. Mais toutes exprimèrent le même désir : obtenir le droit de faire transporter la dépouille de l’être aimé dans le caveau familial pour qu’il repose aux côtés des ancêtres. Ramener le cadavre près des siens signifiait rendre au mort les honneurs qu’il n’avait pas pu avoir, lui dire au revoir une dernière fois et ainsi achever son travail de deuil.

      Les demandes de restitution furent présentées, par les familles, comme légitimes. Ces dernières avaient consenti au sacrifice, pour la défense de leur patrie, d’un fils, d’un père, d’un frère ou d’un époux, en échange l’État devait leur rendre la dépouille du défunt afin que sa famille pût l’honorer. À ce titre certains endeuillés demandèrent le transport gratuit. Le 27 novembre 1914, M. Théron, avocat à Alger, outré des circonstances dans lesquelles son fils trouva la mort, envoya la lettre suivante au ministre de l’Intérieur : J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint copie du rapport médical dressé par M. Lichy de l’ambulance n° 9 du 15e corps d’armée duquel il résulte que mon fils sous-lieutenant au 111e de ligne blessé lors de son transport à la dite ambulance n’avait ni mangé ni bu depuis trois jours et qu’il était tellement déprimé par la fatigue et les privations endurées qu’il a été impossible de le remonter malgré tous les soins donnés alors que la blessure ne mettait nullement sa vie en danger. Voilà ce que l’on fait de nos enfants, qu’ils soient tués par l’ennemi soit, mais qu’ils meurent de faim et de soif près d’une grande ville comme Bar-le-Duc, non jamais ! Dans ces conditions, je ne crois pas être exigeant en demandant que le corps de mon enfant soit transporté à Alger aux frais de l’État, bien faible compensation en raison de ce que c’était mon seul fils et qu’il venait à mon aide en sa qualité de magistrat11. 

La plupart des familles demandèrent, en raison de leur sacrifice et de leur douleur, un transfert de corps immédiat, requête refusée.             

            B – L’interdiction de transporter les corps et donc de les restituer 

      L’interdiction absolue de transporter des cadavres de militaires dans la zone des armées française fut prise très rapidement. Cette mesure, imposée par le conflit fut estimée comme temporaire et la zone d’ interdiction évolua en fonction des opérations militaires.

      Dès le début du conflit, des familles touchées par le deuil demandèrent le droit d’exhumer et de transporter, dans le cimetière familial, la dépouille du feu soldat. Aucune mesure n’ayant été prise à ce sujet, des autorisations furent donc accordées dans la zone des armées d’août au 19 novembre 1914, conformément au décret du 27 avril 1889.

      Cependant, même si la restitution des corps n’était pas officiellement interdite, les autorités militaires et civiles essayèrent, en ce début de guerre, de dissuader les familles d’entreprendre de telles démarches. Ainsi, même si le transport des corps n’était pas encore interdit, il était mal venu. Le 28 septembre 1914, le préfet de la Marne envoya aux maires du département la note suivante :

Je suis saisi journellement de demandes émanant de parents, sollicitant le transport des restes mortels de leurs fils.

Je me serais fait un devoir de réserver le meilleur accueil à ces requêtes justifiées si les nécessités actuelles n’exigeaient pas l’emploi de toutes les communications ferrées.

M. le ministre de la Guerre vient de me faire connaître qu’il n’était pas possible en ce moment d’accueillir les demandes de cette nature.

Je vous recommande donc, Monsieur le Maire, de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue d’inhumer, avec les garanties d’hygiène, les militaires décédés, pour permettre de les exhumer, plus tard, sans difficultés12.

      Les transferts de corps furent officiellement interdits, dans la zone des armées, le 19 novembre 1914 par le général Joffre, commandant en chef de l’armée française. Conformément au décret du 2 décembre 1913 sur l’organisation des armées en campagne, dès la déclaration de guerre, le territoire français fut divisé en deux zones : la zone des armées sous l’autorité du commandant en chef et de son Grand Quartier Général et la zone de l’intérieur sous celle du ministre de la Guerre et de l’état-major de l’armée13. Les deux zones furent donc gouvernées différemment, comme en témoigna la législation sur le transport des corps des militaires décédés pendant la guerre. Désormais, seules les demandes d’exhumation présentées par les autorités publiques et motivées par des mesures d’hygiène (proximité des puits, sources ou habitations) seraient désormais accordées14. Trois mois après le début des hostilités, le général Joffre mettait ainsi un terme non seulement aux restitutions des corps mais aussi à tout transport de corps dans la zone et sur le réseau des armées, à savoir les territoires situés au nord de la grande ligne de chemin de fer jalonnée par Le Havre, Rouen, Paris, Corbeil, Melun, Moret, La Roche (sic), Dijon, Arc-Senans, Besançon et Morteau, cette ligne et les localités du parcours comprises15. Avec la stabilisation du front et la guerre de tranchées, la zone des armées et le réseau des armées en France furent à peu près stables de novembre 1914 à mars 1918.  

      Si l’application de la note du GQG fut immédiate, sa diffusion, auprès des familles, fut cependant très parcellaire. En conséquence, des proches continuèrent à se rendre dans la zone des armées afin de faire exhumer et d’emporter le cadavre de leur disparu. Cependant, une fois sur place, ils se heurtaient au refus de l’autorité militaire et leurs espérances se réduisaient à néant.  

      La décision d’interdire non seulement les restitutions des dépouilles mortelles aux familles mais aussi tout transport de corps de militaires décédés dans la zone de guerre tint à des questions d’ordre moral, sanitaire, et matériel.

      Interdire le transport des corps revenait avant tout à assurer l’égalité des familles en deuil. Ainsi, le général Joffre justifia sa note du 19 novembre 1914 en précisant qu’une telle mesure permettait d’assurer l’égalité entre les familles plus ou moins fortunées16. En effet, la restitution des restes mortels était à la charge des familles et demandait d’importants sacrifices financiers. En conséquence, seuls les parents les plus fortunés pouvaient prétendre transporter, dans leur caveau familial, les dépouilles de l’être aimé. Cependant, cette justification était un peu tronquée. En effet, c’était oublier que le transfert des corps, et donc les restitutions, étaient autorisés dans la zone de l’intérieur. Ainsi, cette égalité n’était que partielle. Nombre de militaires décédèrent dans des hôpitaux de la zone de l’intérieur et furent emportés par leurs proches. 

      À ces raisons morales s’ajoutèrent des raisons matérielles. Le transport des corps et les restitutions nécessitaient un besoin en hommes (présence exigée d’un médecin, d’« exhumateurs », de manutentionnaires par exemple) et en matériel (cercueils, voiture, camions, charrettes, pelles…) important. De même le manque de wagons et l’utilisation du chemin de fer par les armées françaises (déplacement de troupes, ravitaillement…) nécessitaient de mettre à la disposition de ces dernières l’ensemble du matériel, limitant de ce fait l’utilisation des wagons à des fins non militaires. La priorité était donnée aux militaires vivants, qui se battaient, et non aux morts. Le manque de bois et de métal pour la construction des cercueils imposa aussi, de facto, de limiter les transports de corps.

      Enfin, les autorités françaises interdirent aussi les transports de corps afin de protéger la population civile. Elles invoquèrent alors l’hygiène et le danger potentiel que des translations de cadavres, dans la zone des opérations, pouvaient représenter, tant pour les troupes que pour les familles elles-mêmes. Ainsi, le GQG justifia la mesure du 19 novembre 1914 par les graves inconvénients qui pourraient résulter pour l’hygiène des troupes et des populations habitant à proximité des tombes17. L’interdiction de transporter des corps et de les restituer aux familles apparut cependant comme une mesure temporaire, qui n’avait été prise qu’en raison de circonstances exceptionnelles liées à la guerre. En effet, le gouvernement français s’engagea soit implicitement soit explicitement, à accorder aux familles le droit de récupérer les corps, à partir du moment où les circonstances le permettraient, c’est-à-dire à la cessation des hostilités. Cependant, malgré les demandes de plus en plus nombreuses des familles pour retrouver les corps des militaires inhumés sur les anciens champs de bataille, les pouvoirs publics maintinrent l’interdiction après-guerre.

       Craignant qu’avec la suppression de la zone des armées et le retour à la libre circulation fût supprimée, ipso facto, l’interdiction d’exhumer et de transporter des cadavres dans la dite zone, le gouvernement déposa, le 4 février 1919, au Parlement, un projet de loi, tendant à interdire, sur tout le territoire, le transport des corps des militaires, pour un délai de trois ans à compter du 1er janvier 1919. Pour le ministère de la Guerre, seule l’autorité du Parlement semblait en mesure d’imposer à l’opinion publique l’obligation d’un délai, au moins, avant la satisfaction de ses légitimes aspirations. Or, dans la mesure où un projet de loi était déposé, aucun changement n’était apporté à la législation en vigueur. En conséquence, l’exhumation et la translation de cadavres de militaires demeurèrent interdites dans l’ancienne zone des armées. Aussi, le 27 février 1919, le ministre de l’Intérieur rappela aux préfets qu’aucune exhumation et aucun transport de corps de militaires inhumés dans l’ancienne zone des armées ne devaient être accordés en dehors de l’intervention des officiers des différents secteurs d’état civil18. 

      Le délai de trois ans proposé par le gouvernement suscita de vives réactions et un fort mécontentement car il fut jugé trop long. En revanche, pour le ministère de la Guerre trois ans s’imposaient en raison de la crise des transports et du temps minimum pour constituer et aménager dignement les cimetières militaires. Car le gouvernement avait le secret espoir qu’une fois les nécropoles nationales achevées et très bien entretenues, les parents préféreraient laisser reposer, aux côtés de leurs frères d’armes, leur défunt plutôt que de vouloir ramener la dépouille au cimetière familial19. Cependant face aux critiques et aux attaques, le gouvernement se défendit d’avoir de telles intentions et affirma que la période des trois années demandée n’était qu’un délai nécessaire avant de donner satisfaction aux familles. Il fut soutenu par la commission nationale des sépultures qui, le 31 mai 1919, vota en faveur du projet de loi gouvernemental (unanimité moins deux voix pour l’ajournement, unanimité moins trois voix pour le délai de trois ans)20.

      Le 15 juin 1919, Clemenceau réaffirma fermement l’interdiction d’exhumer et de transporter des corps de militaires dans la zone dite « des opérations militaires ». Seuls étaient autorisés les exhumations et transports de corps effectués par le service d’état civil aux armées, dans le cadre du regroupement des tombes isolées, de la libération des terrains privés, de la réfection des cimetières et pour des raisons d’hygiène et de santé publique. En conséquence, aucune modification majeure ne fut apportée aux mesures prises durant la guerre. Le président du Conseil et ministre de la Guerre précisa seulement qu’aucun transport ne se ferait à la charge de l’État, et que par voie de conséquence aucune suite ne serait donnée aux demandes de remboursement de frais des familles qui emporteraient les corps des militaires décédés et inhumés dans la zone de l’intérieur21.

Vieilossuairedouaumont

Vieil ossuaire de Douaumont

 

      Le 20 juin 1919, un décret retira le projet de loi gouvernemental du 4 février 191922. Or, le jour même le gouvernement déposait une nouvelle proposition de loi sur les sépultures militaires, renouvelant l’interdiction. Seul le service de l’état civil aux armées, dans le cadre du « nettoyage » des anciens champs de batailles, avait le droit d’agir librement. 

      Identifier les dépouilles militaires fut avant tout une priorité : les parents auraient ainsi la certitude que les restes mortels qu’ils emporteraient étaient bien ceux du militaire qu’ils pleuraient. À la fin des hostilités, peu de tombes étaient identifiées avec certitude. Se posa alors la question de la légitimité et du danger des fouilles privées, entreprises par des familles désirant absolument retrouver le corps de leur parent, et dont la seule certitude était les renseignements glanés pendant la guerre. De plus, il apparut très vite que la présence, sur les anciens champs de bataille, des familles à la recherche du cadavre de l’être aimé était incompatible avec la bonne marche du service militaire de l’état civil. Ainsi, pour le sous-secrétaire d’État français de l’Administration de la Guerre, Léon Abrami, laisser agir les familles seules serait une folie23.

      Les conditions, bien souvent désastreuses, dans lesquelles furent inhumés, pendant la guerre, les militaires poussèrent également les ministres de la Guerre à ne pas laisser opérer seules les familles et donc à terminer les travaux entrepris par les services compétents avant d’autoriser une restitution des corps. Le 1er juillet 1919, Clemenceau reconnaissait : Très fréquemment, d’ailleurs, pendant la guerre, nos morts ont été enterrés côte à côte en tranchée, de sorte que l’enlèvement de l’un d’entre eux risquerait, s’il n’était pas fait avec toute la prudence désirable, de troubler le repos de ses camarades de sacrifice24.

      À ces nécessaires regroupements de corps, s’ajoutait le fait que les inscriptions portées sur les croix ne correspondaient pas toujours au contenu de la tombe. Lachand, membre de la commission de l’armée française, rapporta à ses collègues une histoire racontée par l’officier de l’état civil de Suippes. Une famille était venue repérer le cadavre du fils, or à l’endroit où était la tombe, a été trouvé un cheval. La croix avait été déplacée et la dépouille mortelle recherchée se situait à plusieurs mètres25. Enfin, les recherches, exhumations et identifications étaient souvent pénibles et éprouvantes pour les proches. En conséquence, pour Léon Abrami, seul l’État était assez insensible pour supporter la vue d’opérations de ce genre26.

      Le gouvernement fut également influencé dans sa décision par son désir d’assurer l’égalité des familles devant la mort. Aucune distinction ne devait être faite entre riches et pauvres. 

      Pour Clemenceau, à l’égalité du sacrifice doit correspondre l’égalité du traitement ; si les transports de corps doivent être autorisés, on ne peut les concevoir que s’effectuant aux frais de l’État27. En conséquence, il était inconcevable, pour le gouvernement français, que les restitutions de corps ne s’effectuassent pas à la charge de l’État : Au surplus, le rapatriement des corps de nos soldats ne pourra être envisagé que comme une mesure générale, d’ordre public : il serait inadmissible que, seules, les familles fortunées pussent ramener près du foyer l’être chéri mort pour la Patrie28. Permettre, aux seules familles qui pouvaient consentir à un notable sacrifice d’argent, d’emporter avec elles le corps du militaire pleuré et de l’inhumer dans le cimetière familial était pour le gouvernement une mesure antidémocratique qu’il se refusait de consentir.

      Assurer l’égalité de tous devant la mort était également éviter le mécontentement des familles qui, faute d’argent, ne pouvaient réaliser leur pieux désir.

      Enfin l’interdiction découlait de graves difficultés économiques avec notamment la crise des transports, une pénurie de main-d’oeuvre, un manque criant de matériel. Il était évident que, pour le rétablissement de la vie économique du pays, le matériel roulant ne devait et ne pouvait être immobilisé, pendant des mois, pour le transport des corps militaires, que ces derniers fussent inhumés dans l’ancienne zone des armées ou dans l’ancienne zone de l’intérieur. La restitution des « Morts pour la France » ne pouvait être organisée qu’une fois le régime normal des transports rétabli.

      La commission de l’armée française estima cependant que les arguments invoqués par le ministère de la Guerre et justifiant le délai minimum requis de trois années d’interdiction n’étaient qu’un prétexte. Pour cela, elle s’appuya sur des déclarations, du 11 février 1919, du ministre des Travaux publics et des Transports. Ainsi ce dernier avait affirmée avoir recruté le personnel nécessaire pour assurer le bon fonctionnement des transports et que d’ici trois ou quatre mois, l’ensemble des chemins de fer français marcher[ait] beaucoup mieux. Le ministre avait également déclaré que le Parlement avait voté une loi pour acheter le matériel manquant, matériel qui avait été acheté et qui devait être complété par des wagons et locomotives américaines, anglaises et allemandes. Quant à la reconstruction des lignes, elle s’annonçait en bonne voie29. 

     Malgré la législation en vigueur, des familles estimèrent qu’elles avaient trop attendu et qu’elles avaient le droit de reprendre leur mort. En conséquence, elles outrepassèrent et transportèrent clandestinement les restes mortels de leur parent tué à la guerre et inhumé dans l’ancienne zone des armées. Ainsi des parents exhumèrent et transportèrent eux-mêmes, selon leurs propres moyens, le corps de leur proche. Cependant, la plupart des familles firent appel à des personnes spécialisées dans les exhumations et transports de corps clandestins : des « entrepreneurs de la mort » ou des « mercantis de la mort ».

      Au fil des mois, ces pratiques clandestines devinrent de plus en plus nombreuses. L’impunité des contrevenants et la relative tolérance de certaines autorités municipales incitèrent en effet les familles à outrepasser la loi. Cependant ramener le corps d’un militaire, clandestinement, du front au cimetière familial, resta un privilège que seules les familles les plus fortunées purent accomplir.

      Selon René Renoult, président de la commission de l’armée, faire exhumer et transporter un corps de la zone des armées à un cimetière de la zone de l’intérieur coûtait entre 1 500 et 2 000 francs. Pour le commissaire de police J. Bonnafoux, les prix variaient entre 4 et 8 000 francs. Le sous secrétaire d’État de l’administration de la Guerre affirma qu’ils pouvaient même atteindre 15 000 francs30.

      D’après la lecture des procès-verbaux de constatation d’exhumation clandestine, la population locale apporta un soutien tacite aux personnes qui exhumèrent et transportèrent clandestinement des cadavres de militaires, soutien qui pouvait prendre la forme d’aide matérielle.  

      Cependant les exhumations et transports de corps de militaires, opérés clandestinement par les familles ou pour leur compte, mirent en danger non seulement la bonne conservation des sépultures militaires mais aussi l’identité des cadavres. En effet, en raison des circonstances dans lesquelles s’effectuèrent les exhumations, la nuit, hâtivement, sans lumière ni aucune précaution d’hygiène, l’identité des restes mortels emportés n’était pas toujours certifiée. Plusieurs cas de substitution de cadavres se produisirent. D’autres tombes furent, sciemment ou par mégarde, détériorées voire même violées. il arriva également que seuls les restes mortels fussent emportés, le cercueil étant laissé sur place. Or de telles pratiques, qui ne respectaient aucune prescription d’hygiène, mettaient en danger l’intégrité du cadavre. Ainsi des ossements et même des parties de corps furent oubliés, tombés.  

            C- La campagne en faveur des restitutions 

      Quoiqu’il en soit, beaucoup de parents n’acceptèrent plus l’interdiction de transporter les corps des militaires tués pendant la guerre et inhumés dans l’ancienne zone des opérations. Ils exprimèrent alors leur mécontentement et leur volonté de faire ramener le corps de leur parent tué à la guerre, dans le cimetière de leur choix. Afin d’être soutenus dans leurs démarches et pour que les pouvoirs publics prissent conscience de leur désir, elles envoyèrent des lettres à leurs élus, notamment les députés, et à des journalistes.

      Certains parents, soutenus par des associations, se dirent prêts à se rendre à Paris exprimer leur mécontentement envers le projet de loi gouvernemental et d’affirmer haut et fort leur désir de récupérer le corps de leur mort31. D’autres marquèrent leur opposition aux décisions gouvernementales en n’accomplissant plus leurs devoirs civiques. Ainsi un habitant de Sacquenay (Côte-d’Or) envoya, le 21 juin 1920, une lettre à L’AFC, dans laquelle il affirmait que cela faisait plus d’un an qu’il ne payait plus d’impôts et qu’il n’en paierait plus tant qu’il n’aurait pas obtenu satisfaction32. Il s’agit là d’une forme ultime de désobéissance civile qui semble fort rare à l’époque.

      Afin de défendre leurs intérêts et d’avoir plus de poids, les familles touchées par un deuil de guerre se réunirent au sein d’associations qui firent campagne non seulement pour une restitution des corps mais aussi pour sa gratuité. Par exemple, l’Union des Pères et Mères dont les fils sont morts pour la patrie milita pour que les morts de la Grande Guerre ne fussent jamais oubliés. En conséquence, l’association soutint à la fois les familles qui aspiraient à un retour des corps dans le cimetière familial et celles qui désiraient que les dépouilles restassent sur les anciens champs de bataille.  

      Les familles furent soutenues dans leurs requêtes par des députés, des magistrats municipaux, des conseillers départementaux et généraux qui n’hésitèrent pas à critiquer et à s’opposer ouvertement aux décisions gouvernementales. Ils apportèrent un soutien moral aux familles en intervenant personnellement auprès du gouvernement soit pour demander des renseignements sur les mesures en vigueur, soit pour obtenir une autorisation exceptionnelle de transport de corps. Ils jouèrent donc le rôle de médiateurs et à ce titre apportèrent un réconfort à ceux qui avaient perdu un des leurs à la guerre. Cependant, ces interventions étaient vaines car, conformément à la loi en vigueur, les ministres sollicités (de l’Intérieur, de la Guerre ou encore des Pensions) refusèrent le transfert du corps d’un militaire inhumé dans l’ancienne zone des opérations. 

      Nombre de parlementaires ayant perdu un ou plusieurs parents à la guerre (bien souvent des fils) éprouvaient également le désir de pouvoir ramener, dans le tombeau de famille, leurs restes mortels et intervinrent régulièrement à la Chambre des députés.

      Nombre de communes, de départements et de conseils généraux se firent l’écho, auprès du ministère de l’Intérieur, des sentiments des familles. Pour cela ils émirent des voeux demandant l’autorisation immédiate des exhumations et transports de corps, la réduction du délai imposé ou encor la prise en charge de ces restitutions par l’État. Cependant ces voeux n’avaient qu’une portée symbolique. Auprès du ministère de l’Intérieur, ils n’étaient que les échos d’un fort sentiment populaire : pouvoir ramener le corps de l’être aimé près de soi.  

      Enfin la presse se fit l’écho des opposants et des défenseurs de la restitution des corps aux familles. Cependant, la majorité des articles publiés furent plus favorables aux revendications des familles qu’à celles de l’État. Certains journaux, comme L’Intransigeant et L’AFC, s’impliquèrent ouvertement et firent campagne pour le droit des familles à reprendre les corps de leurs morts. 

 

II – La restitution gratuite des corps à la charge de l’Etat 

            A – La loi du 31 juillet 1920 

      Le 28 avril 1920 le député Alexandre Israël, au nom de la commission de l’administration générale, départementale et communale, adressa un rapport à la Chambre : l’État devait prendre à sa charge toutes les restitutions, quel que fût le revenu des familles33. Après dix-huit mois de vifs débats, André Maginot, ministre des Pensions, de qui relevait le service des sépultures, approuva cette proposition de loi. Afin d’accélérer le processus, la commission de l’administration générale, départementale et communale, se mit d’accord avec la commission, chargée au Sénat, de l’étude de propositions semblables34. Il fut alors décidé d’employer la voie, plus expéditive, du budget et de la loi de finances. Contrairement à la jurisprudence parlementaire de la IIIe République, les sénateurs s’abstinrent de déposer à leur tour des propositions de loi, ce qui témoigne d’un certain esprit du « Bloc national » et du respect des Morts de 14-18 qui fit taire jusqu’aux petites querelles entre les deux Assemblées. Le choix de la loi de finances, mesure expéditive, permit donc d’éviter « la navette parlementaire » entre les deux Assemblées. Il s’agit d’un « cavalier budgétaire » à savoir un simple rajout d’un budget qui a force de loi. En conséquence, la commission de l’administration générale élabora un amendement au budget du ministère des Travaux35. Le 8 juillet 1920, A. Israël annonça à la Chambre qu’un accord avait été conclu entre la commission de l’administration générale et la commission des finances. Cette dernière proposait d’inscrire dans le budget, dès l’année en cours, un crédit de 10 millions pour assurer, à partir du 1er décembre 1920, le transport des corps des soldat France. Cet accord reçut l’approbation du gouvernement36 et le crédit fut ratifié par les députés lors de la séance du 27 juillet 1920. Quant au service de l’état civil et de l’organisation des sépultures militaires, il obtint un crédit de 60 millions37. Le Sénat et la Chambre des députés ayant adopté le texte, la loi de finances fut promulguée le 31 juillet 1920. Rattaché aux « Dispositions spéciales » du budget ordinaire et extraordinaire, l’article 106 annonçait officiellement le droit, pour les veuves, les ascendants et les descendants, de demander la restitution et le transfert, aux frais de l’État, des corps des militaires et marins morts pour la France, opérations qui débuteraient à compter du 1er décembre 192038. Un décret d’application fut promulgué le 28 septembre 1920. Par transfert des corps étaient entendues les opérations d’exhumation, de mise en bière hermétique, de transport collectif du lieu d’exhumation à celui de ré-inhumation et la ré-inhumation. Le 7 janvier 1921, un nouveau décret, concernant les personnes présentes lors des opérations funéraires relatives à la restitution des corps aux frais de l’État fut promulgué39.  

            B – une organisation rigoureuse 

      Sans attendre la publication du décret d’application, le ministère des Pensions envoya aux préfets, dès le mois d’août 1920, des formulaires de demandes à distribuer dans les mairies du département et à mettre à la disposition des familles et retourner une fois remplis au ministère des Pensions.

      La date ultime pour déposer le formulaire de demande de restitution des corps fut fixée par le ministère des Pensions au 2 janvier 1921. Cependant, en raison du manque de formulaires, cette date limite fut reportée au 15 février 1921 40. Au-delà de ce délai aucune demande ne serait plus acceptée quel qu’en fût le motif. L’exécution méthodique des opérations de transfert de corps imposait l’obligation de se conformer à un programme qui ne [pouvait] pas être constamment remanié41.

      Toutefois, les familles, dont le corps de leur proche fut découvert ou identifié au-delà du 15 février 1921, purent bénéficier de la restitution gratuite en renvoyant les formulaires de demande dans un délai de trois mois, à compter de la notification de la découverte et/ou de l’identification des restes mortels.

      Il se posa très rapidement des problèmes quant aux auteurs des demandes de restitution, notamment entre la veuve et les parents. En effet, conformément au décret du 28 septembre 1920, les veuves, ascendants et descendants avaient le droit de demander un transfert de corps à la charge de l’État. Or, il arriva assez fréquemment que l’épouse et les parents du défunt ne s’entendent pas sur la restitution du corps. Soit la veuve et les ascendants réclamaient, chacun de leur côté, le corps, soit un des deux s’opposait au retour des restes mortels. En effet, bien des parents jugèrent inadmissible que la veuve qui avait refait sa vie demandât la dépouille de leur fils, alors qu’eux avaient perdu et pleuraient encore la chair de leur chair. Inversement, le retour dans la commune de la dépouille mortelle du mari pouvait être pénible pour une épouse, souvent veuve depuis bien longtemps (deux ans et demi pour certaines, sept ans pour d’autres). Aussi, certaines épouses s’opposèrent vivement au retour du corps de leur mari même si ce dernier avait été demandé par les parents du défunt.

      En cas de désaccord et/ou de refus de restitution, la veuve, les ascendants, ou encore les descendants devaient en avertir le ministère des Pensions. À défaut de toute jurisprudence, ce dernier ne pouvait trancher entre les ayants droit. En conséquence, dès qu’il existait une opposition ou une compétition sur le transfert d’un corps, le service de l’état civil, des successions et des sépultures militaires, sursoyait à la demande. Les auteurs de ces demandes devaient alors se pourvoir auprès des tribunaux civils qui statuaient sur la priorité des ayants droit. Bien que les veuves eussent des droits de priorité sur le corps de leur mari en raison de l’indissolubilité des liens conjugaux, les décisions des tribunaux civils ne furent pourtant pas systématiquement en leur faveur. En effet, si la veuve était remariée ou/et avait eu un enfant avec un autre homme, le tribunal donnait alors la priorité aux parents du militaire décédé. Une fois l’affaire réglée par la justice, le ministère des Pensions donnait alors satisfaction au requérant qui devait justifier de la priorité de son droit en envoyant un extrait du jugement. 

      Conformément à l’article 9 du décret du 28 septembre 1920, au sein du service de l’état civil, des successions et des sépultures militaires, un service spécial fut créé celui de la Restitution des Corps (SRC), dont le rôle était de diriger et de contrôler les opérations. Le chef du service de l’état civil et des sépultures militaires, le sous-intendant militaire de 1re classe, Bezombes, devint le chef effectif et technique du Service Central des Restitutions (SCR), section du SRC. Ainsi, le contrôleur de chaque secteur militaire d’état civil devait recevoir toutes les demandes de restitution de corps concernant son secteur. Il procédait ensuite, de conert avec le chef du secteur de l’état civil, à l’examen des informations durant lequel il devait indiquer d’un signe apparent les demandes concernant les corps non identifiés42. La restitution des corps inhumés dans l’ancienne zone de l’intérieur incombait en revanche à un service départemental de la restitution des corps créé à cet effet dans chaque département non compris dans l’ancienne zone des armées.

      Afin de mener à bien les opérations, les transferts de corps à la charge de l’État se firent méthodiquement, à savoir par zones. L’ancienne zone des armées était vaste et les travaux de regroupement des corps y étaient en cours de réalisation à l’automne 1920. Mener de front les opérations de restitution dans l’ensemble de l’ancienne zone des armées sembla donc difficilement réalisable. En conséquence, la dite zone fut elle-même divisée en neuf zones de champs de bataille, chacune de ces zones étant composée de plusieurs secteurs d’état civil43.

      Alors que les opérations d’exhumations et de restitutions de corps étaient quasiment terminées dans l’ancienne zone des armées, le transfert des corps des militaires, marins et victimes civiles inhumés dans les départements de l’ancienne zone de l’intérieur ne commencèrent réellement qu’à partir du 15 octobre 192244.

      Enfin, en 1923, il fut prévu que l’État procéderait à la restitution des corps inhumés en dehors du territoire métropolitain. Cependant les opérations de restitution des corps des militaires français morts en Orient débutèrent plus tôt, et les premiers convois arrivèrent à Marseille dès 1922. 

 

                        C – L’appel à des entreprises privées 

      Le SRC, comme l’autorité militaire l’avait fait et le faisait encore pour la fourniture de croix et de cercueils en vue des regroupements de tombes, confia dans chaque zone de champ de bataille l’exécution des opérations de restitutions, à savoir les exhumations, la mise en bière et le transport des corps vers la gare de groupement, à des entreprises privées. Pour cela il recourut à des adjudications avec un cahier des charges précis.

      L’attribution des marchés pour assurer la restitution des corps, inhumés dans les zones de champ de bataille mais aussi dans l’ancienne zone de l’intérieur, se fit au fur et à mesure, en fonction du plan d’ensemble établi par le SRC.

      Les premières adjudications contractées par le ministère des Pensions furent celles qui avaient pour but d’assurer la restitution des corps inhumés d’abord dans l’ancienne zone des armées puis dans la zone de l’intérieur. Les adjudications étaient passées avec les soumissionnaires les plus offrants. Souvent une même entreprise emportait plusieurs adjudications. Ainsi, la majorité des transferts de corps, aux frais de l’État, des militaires, marins et victimes civiles, fut assurée par un nombre réduit d’entrepreneurs à savoir les dénommés Sylvester, Régnier, Georges Delcuze, les frères Perret, Albert Barrois, André Lacroix et Louis Morel pour les plus importants. Afin d’assurer la restitution des corps dont les restes seraient identifiés postérieurement au 15 février 1921, date limite pour déposer la demande de transfert, à la charge de l’État, du corps d’un militaire mort pour la France ou d’une victime civile de la guerre, le ministère des Pensions fit des avenants aux marchés par adjudication.

      Les travaux de restitutions des corps inhumés dans les départements non compris dans l’ancienne zone des armées reprirent donc à compter du 15 octobre 192248.

 

Normal amel04

 

III – La démobilisation des mort

             A - De  l’exhumation à la gare de chargement

      La première étape de cette vaste opération était d’exhumer, de mettre en bière les restes mortels et de transporter les cercueils vers une gare de chargement.

      Les exhumations rigoureusement définies dans chaque secteur d’état civil de l’ancienne zone des armées par le contrôleur du SRC, de concert avec le SCR et le chef du secteur d’état civil, Le but du plan général d’opérations était de définir l’ordre des cimetières à parcourir, de manière à ce que les corps exhumés parvenant à la G.R. (sic) [gare régulatrice] puissent aussitôt que possible entrer dans la composition d’un train spécial à destination d’une région militaire ou de deux régions voisines situées sur une même ligne de transport49. Marseille (pour les corps de l’Armée d’Orient), Sarrebourg (pour les corps rapatriés d’Allemagne), Brienne-le-Château et Creil devinrent les quatre gares régulatrices. Tous les corps exhumés dans les zones de champ de bataille de l’ancienne zone des armées furent acheminés vers les deux dernières gares. Les opérations étaient effectuées par le personnel employé par l’adjudicataire selon des directives précises quant au respect de l’hygiène et des corps.           

      Une fois les dépouilles mortelles exhumées, elles étaient déposées dans des bières fournies par l’État50.

      Comme le faisait l’autorité militaire pour le regroupement des tombes, le service de l’état civil, des successions et des sépultures militaires du ministère des Pensions fit appel, au moyen d’adjudications, à des entreprises privées chargées de fournir les cercueils nécessaires aux restitutions des corps des militaires, marins et victimes civiles de la guerre, réclamés par leur famille51.

      À partir du mois de juillet 1921, le ministère des Pensions renonça à procéder aux adjudications sur concours d’échantillons et de prix. Il établit alors trois modèles types : cercueil en chêne d’1,70 mètre et d’1,90 mètre, et cercueils doublés intérieurement de métal. La majorité des adjudications porta sur ces trois modèles à raison de 70% du marché pour les cercueils d’1,70 mètre, 10% du marché pour les cercueils d’1,90 mètre et 20% pour ceux à intérieur métallique. 

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